Discours de Maria Montessori lors de la Formation 1921 à Londres
Ce discours de Maria Montessori a été traduit de l’anglais (Source ICI). A ma connaissance, il n’est pas encore connu du public francophone. C’est un discours de Maria Montessori qui parle de l’importance de l’observation des enfants et de soi-même.
Je vous souhaite une belle découverte de ce discours !!
Cette conférence figurait à l’origine dans la publication Communications 2008/2 de l’Association Montessori Internationale. Maria Montessori a souvent parlé d’observation dans ses cours. Rita Schaefer Zener, Ph.D. est l’éditeur original de cette sélection de réflexions tirées du cours 1921 de Londres du professeur Montessori.
Il semblerait que savoir comment observer soit très simple et ne nécessite aucune explication. Vous pensez peut-être qu’il suffira d’être dans une salle de classe dans une école et de regarder et de voir ce qui se passe! Mais observer n’est pas aussi simple que cela.
Toute observation méthodique que l’on souhaite faire nécessite une préparation. L’observation est l’une de ces nombreuses choses dont nous parlons fréquemment et dont nous formons une idée inexacte ou fausse. Il devrait être suffisant de considérer ce qui se passe dans toutes les sciences qui dépendent de l’observation. Les observateurs dans les différentes sciences doivent avoir une préparation spéciale. Par exemple, celui qui regarde au microscope ne voit pas ce qui existe là-bas à moins que son œil soit préparé. Il ne suffit pas d’avoir l’instrument et de savoir le focaliser. Il faut également que l’œil soit prêt à reconnaître les objets. Ainsi, nous pourrions dire dans ce cas qu’une préparation sensorielle est nécessaire. Quand [Jean-Henri] Fabre [célèbre entomologiste français] décrit ses observations d’insectes, il nous décrit réellement sa longue et patiente préparation à l’observation. Il décrit également les vertus et les attributs nécessaires à acquérir pour pouvoir observer. Il doit s’oublier et il doit être au service des insectes. Il doit se lever le matin à l’heure où les insectes commencent à bouger. Il nous dit qu’il aimait beaucoup fumer. Pourtant, il range sa pipe, de peur que l’odeur de la fumée affecte leurs manifestations.
Alors, ne devrait-il pas y avoir aussi une préparation pour observer l’enfant ? La rareté des observations faites sur les enfants est peut-être due au manque de préparation à de telles observations. Pour cette raison, je voudrais, avant de commencer votre observation, vous exposer quelques-uns des points principaux et fondamentaux qui illustrent ce que je viens de dire.
Ces points, par lesquels je commence, ne sont pas en relation avec ce que vous devez observer, mais en relation avec l’observateur lui-même. De toute évidence, ceux qui observent les enfants ne doivent pas les déranger, car le but de l’observation est de voir ce que les enfants font indépendamment de notre présence. L’observateur doit rester absolument silencieux et immobile. Vous direz que c’est extrêmement facile à réaliser et que tout le monde sait comment faire cela, mais ce n’est pas le cas. Plusieurs fois, vous serez tenté de montrer votre admiration ou votre contrariété. Vous serez tenté de communiquer vos impressions à votre voisin. Nous nous trouvons donc face à un exercice réel, exercice que nous pourrions appeler un exercice d’immobilité consciente, dirigé par notre volonté. Ce sera également l’un des exercices les plus précieux pour préparer les élèves en tant qu’éducateurs à cette méthode, car la première chose que l’enseignant doit apprendre est de se maîtriser et de rester immobile à côté de l’enfant.
Pendant que vous observez les enfants, essayez d’imaginer que vous êtes dans la position de l’enseignant qui dirige la classe et essayez de vous examiner de manière introspective. Essayez de penser combien de fois, dans certaines conditions, vous auriez été tenté de porter assistance à un enfant ou seriez allé de l’avant pour éviter que ne se produise quelque chose qui, pour vous, semblait préjudiciable. Combien de fois penseriez-vous, “Oh, l’enseignant n’a pas remarqué cela.” Combien d’impulsions auriez-vous à avancer, étiez-vous libre ? Aussi, essayez de noter combien de fois vous auriez l’impulsion de dire à votre voisin de remarquer quelque chose qui vous semble intéressant. Vous pourriez essayer de compter toutes ces impulsions intérieures. Ainsi, vous pourrez mesurer la distance qui vous sépare telle que vous êtes maintenant et le moment où vous serez un observateur parfait. Cette quiescence est extrêmement difficile pour certaines personnes et beaucoup plus facile pour d’autres. Il est tellement difficile pour certaines personnes de prévoir des exercices préparatoires pour provoquer l’immobilité. Même ces exercices ne suffisent pas toujours. Nous avons suggéré à certains enseignants de s’attacher avec un cordon à un meuble fixe !
Nous sommes tellement habitués à nous abandonner à nos propres impulsions. Nous sommes tellement convaincus que nos actions sont toujours utiles aux autres. Nous sommes tellement certains que nous pouvons bien faire ce que d’autres font mal ; si sûr que nous pouvons perfectionner ce qui est imparfait. Parce que dans ce monde, ces impulsions sont considérées comme de bonnes impulsions, nous n’avons jamais effectué d’exercices pour les contrôler.
Sans aucun doute, d’un point de vue, ces sentiments sont bons, car ils montrent un désir d’aider les autres. Mais d’un autre côté, ils sont également issus de l’orgueil. En ce qui concerne l’enfant, ce sont des sentiments qui découlent de la différence qui existe entre le développement de l’enfant et le nôtre. Ce que nous voyons l’enfant faire avec beaucoup d’efforts, nous pouvons le faire facilement. Par conséquent, nous avons l’impulsion de faire la chose nous-mêmes au lieu de laisser l’enfant le faire. Nous le faisons beaucoup plus rapidement et efficacement. Lorsque nous voyons l’enfant s’efforcer avec tant de peine de faire une chose qui est si difficile pour lui et qui serait si facile pour nous, nous avons l’impulsion de l’aider.
Considérez ce qui se serait passé si Fabre avait ressenti ces bonnes impulsions envers les insectes. Imaginons Fabre en train de regarder un insecte portant un gros ballon qu’il avait fabriqué au sommet d’une petite montagne. L’insecte permet au ballon de rouler et est obligé de recommencer son parcours. Quel aurait été le résultat si Fabre avait essayé de résoudre cette difficulté en ramassant le ballon et en aidant l’insecte ? Il est vrai qu’il aurait retiré l’effort de l’insecte, mais il aurait détruit une science.
Si nous voulons observer l’enfant, nous devons observer. Si nous voyons qu’il travaille avec beaucoup d’effort et de difficulté, et si nous constatons qu’il lui faut beaucoup de temps pour faire ce que nous pouvions faire très facilement, nous observons. C’est l’observation. S’il y a une difficulté qui nous est apparente, mais que l’enfant ne voit pas, nous le laissons ainsi. C’est notre observation.
J’ai suggéré à certains enseignants de porter une ceinture avec des perles. Ensuite, chaque fois qu’ils ont l’impulsion de s’immiscer, ils traînent une perle. Ceci est très utile, car lorsque nous avons une impulsion, nous devons agir et la réaction avec la perle est une aide. Au jour le jour, on se faisait des observations de la sorte jusqu’à ne plus avoir à tirer de perles. Nous devrions alors constater que nous avions acquis un grand calme et une grande sensation de repos. Peut-être aurions-nous dû nous transformer. En tout état de cause, nous aurions dû apprendre ce qui suit: la quasi-totalité de ces impulsions à l’action sont inutiles.
Nous découvrirons qu’au moyen de l’effort, l’enfant réussit encore à la fin bien qu’il prenne beaucoup de temps et fasse la chose avec difficulté. Il perçoit finalement l’erreur qu’il n’avait pas vue au début. Si nous avions agi, nous n’aurions pas pu observer tout cela. Il est évident que l’enfant n’aurait pas eu la possibilité d’accomplir ce travail avec ses propres forces. Peut-être qu’au début cela vous donnera un sentiment de découragement. Vous pouvez avoir l’impression que si vous ne vous vainquez pas vous-même, vous serez inutile et peut-être un obstacle sur le chemin de l’enfant. En ce moment de découragement, ce sera une grande consolation pour nous de découvrir que l’enfant a en lui des pouvoirs bien supérieurs à ceux que nous avions imaginés. Peut-être qu’à partir de ce moment, un intérêt intense pour l’enfant va naître en nous.
Un petit et humble exercice de contrôle peut développer un grand pouvoir de méditation, une méditation sur le malentendu qui existe aujourd’hui entre l’enfant et l’adulte. L’adulte a l’intention d’aider l’enfant mais constitue plutôt un obstacle qui ne lui pose que des obstacles. Il agit par amour, mais par erreur, il ne fait que nuire à la personne aimée. Nous commençons ainsi à avoir la première vision de cette libération de l’âme de l’enfant. Cette libération ne peut être obtenue que par l’adulte qui est prêt à en payer le prix, c’est-à-dire s’abstenir de se substituer à l’enfant.
Il existe un autre principe d’observation que nous pouvons appeler physiologique. En d’autres termes, lorsque vous observez un enfant, vous ne devez pas cesser d’observer tous les enfants. Nous savons que la vision est exacte et orientée vers un point. En même temps, nous avons un vaste champ de vision. Il n’est pas facile d’attirer notre attention sur toutes les choses que nous voyons indirectement. Quand on regarde une personne dans un groupe, il ne faut pas que toute la conscience soit absorbée par cette personne.
En même temps que toutes ces choses entrent dans notre champ de vision, elles doivent être suivies consciemment par un acte de volonté. C’est un exercice de notre volonté qui doit être répété plusieurs fois. Vous pouvez imaginer qu’un enseignant doive courir d’un enfant à l’autre en observant le premier puis le suivant. Au lieu de cela, nous devons préparer une personne qui sera calme, sereine mais forte, une personne qui sait dominer en observant tout ce qui se passe. Ceci est l’observation. Elle doit savoir regarder et maîtriser ses propres impulsions. Elle doit savoir attendre. Elle doit être une personne ayant un haut degré de vertu, c’est-à-dire de patience.
Tous les grands observateurs sont fondamentalement des gens qui ont une grande patience. Ici, comme dans tous les autres cas où l’observation est nécessaire, si elle n’existe pas très fortement et si nous ne sommes pas préparés, le phénomène que nous attendons ne se produira pas. Si nous étions préparés dans la petite enfance à quelque chose qui développait cet attribut, nous devrions naturellement être patients et avoir le contrôle de nous-mêmes. Nous devrions être plus forts que nous le sommes maintenant. Nous ne devrions pas souffrir de ce qui est si perceptible aujourd’hui : l’ennui ou la fatigue d’observer. Comme vous le savez, l’ennui est une forme de fatigue. La personne qui observe patiemment, sans s’ennuyer, a acquis une force intérieure qui doit avoir été acquise par l’exercice. Ainsi, l’un des premiers exercices consistera à assister à une classe d’enfants, à rester silencieux et immobiles, à essayer de ne pas se laisser emporter par les actions d’un enfant et d’essayer de voir toute la classe. Naturellement, pour observer, nous devons avoir quelque chose qui mérite d’être observé. Nous devons savoir ce qui a de la valeur en tant qu’objet d’observation. Vous devez également vous rendre compte que quelque chose d’intéressant, de toute évidence, n’a pas besoin de beaucoup de préparation pour être observé. Nous devons être prêts à observer des phénomènes qui ne sont évidemment pas intéressants. Sinon, qu’adviendrait-il de ces observateurs qui attendent, disons, qu’un œuf éclosent ? Ou qui attend un phénomène physiologique sans savoir exactement quand il se produira ? Nous entrons dans un domaine noble, car nous suivons les premières étapes du chemin qui mène à la science et qui est le début de ce qui fera de nous des scientifiques.
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